Lundi 16 :
C'est la veille du départ, je finalise le sac, je check le matériel obligatoire, je signe l'attestation avec laquelle je m'engage à avoir avec moi tout ce matériel pendant toute la durée de la course. La date du départ se rapproche à grands pas et même si je ne suis pas encore trop stressé je passe la journée à me demander si je n’ai pas fait une connerie de m'inscrire sur ce trail. En suis-je seulement capable ? La journée est un peu longue mais je sais qu'il n'est plus question de reculer et il me tarde maintenant de prendre la route vers Saint-Lary-Soulan.


Mardi 17 :
C'est l'heure du départ, on part avec Isa et Margot, je passe la route à me refaire le parcours dans la tête. Je l'ai bien repéré et ça me rassure un petit peu. Je sais à peu près à quels moments je vais souffrir. On arrive, on récupère les clés de l'appart et on va se promener dans St-Lary. Je ne suis probablement pas de bonne compagnie, je n’arrive pas à penser à autre chose. Dans St-Lary, j'ai l'impression de ne voir que des mecs affutés habillés comme si le départ avait lieu dans 5mn, je ne comprends pas bien, je suis agacé, ils m'énervent, j'ai envie de rentrer à Toulouse mais je sais qu'il est trop tard. Finalement, j'irai me coucher tôt, et j'arriverai quand même à dormir.


Mercredi 18 :
Les choses sérieuses commencent. Le matin, nous allons repérer le premier point de ravitaillement où les accompagnateurs peuvent se rendre facilement en voiture. En début d'après-midi je tente une sieste, je ne dors pas mais je me repose un peu. Ensuite tout s'enchaîne sans que je n'ai trop le temps de cogiter. Récupération du dossard 5469 vers 16h, préparation des sacs pour la course et pour les ravitos et c'est déjà l'heure de de se rendre au briefing de course. Là, je retrouve Thomas, du PAC, je suis content de voir quelqu'un que je connais même si je sais qu'on ne court pas dans la même catégorie. La pression monte vraiment quand le speaker nous décrit la descente du port de Bataillence. Je reçois un coup de fil de Fabien juste avant la fin du briefing, il sera là dans 15mn, timing parfait. Retour à l'appart, petit briefing avec Fab puis il reprend la route vers Azet. Il arrive du Portugal avec Angelina, Anatole et Alexandre. Je mesure l'effort qu'il vient de faire et je sais que je n'ai pas le droit de le décevoir. Puis c'est l'heure de manger, des pâtes évidemment, et je me couche encore très tôt pendant que les filles vont se promener au marché nocturne de Saint-lary. Contre toute attente, je fini par trouver le sommeil vers minuit.


Jeudi 19 :
il est 4h25 quand j'ouvre les yeux, je reste au lit en attendant 5h que le réveil sonne, j'ai mal au ventre, je fini par me lever et avale un petit dèj classique : café, tartines beurre salé et confiture. Je voudrais manger un peu de salé mais le stress me noue l'estomac, je n'y arrive pas. Un passage à la salle de bain, préparation des flasks, de la poche à eau et c'est déjà l'heure de rejoindre la zone de départ.
Il fait 13° et une petite bruime s'abat sur Vielle-Aure. Je ne sais si je dois me couvrir au risque d'avoir vite chaud dans la première montée ou si je reste en manche courte. J'observe les gens autour de moi et la plupart sont couverts, je ne réfléchis plus et je fais pareil.
Je retrouve Thomas dans le sas de départ, il me donne quelques conseils en habitué des longues distances. Le speaker chauffe les coureurs avant le départ avec un claping. C'est probablement super quand tu es serein, mais moi à ce moment-là ça m'énerve, j'ai juste envie qu'on parte, juste envie de faire baisser toute cette pression et ce stress que je me suis mis.
07h00 enfin le départ est donné, je suis Thomas sur les 600 premiers mètres avant de jeter un premier coup d'œil à ma montre. 5mn45/km ça doit être mon allure semi, trop rapide pour moi, je ralenti et laisse partir Thomas, je ne le reverrai que le soir sur la ligne d'arrivée.
Au bout de 2km, commence la montée vers le col de Portet, 1500m de dénivelé pour démarrer, jusqu'à Soulan les pourcentages ne sont pas trop raides, ensuite ça pique un peu. Finalement, je me colle à un groupe, ils se connaissent, un gars raconte qu'il a fait toute la bretagne à vélo. Je suis derrière, je les écoute et je passe les 2 derniers km de la montée comme ça. Enfin arrive un peu de descente, ça fait du bien. Je rejoins le premier ravito après 2h52. J'avais prévu 3h. Jusqu'ici tout va bien. Je fais une petite pause, remplit les flasks, fait un passage aux toilettes, et repart environ 10mn plus tard.
S'amorce alors une descente dont la première partie me semble plus raide et plus technique que ce que j'imaginais, je démarre doucement. Heureusement, la seconde partie de la descente et beaucoup plus roulante et je me cale derrière un gars qui tourne aux alentours de 6mn30 au kilo. Je suis en forme, j'ai les jambes, j'ai envie de le doubler mais une petite voix me dit que ce n’est pas forcément un bon calcul. Alors je reste derrière, un peu frustré mais je sais au fond que c'est bien plus raisonnable.
25ème km, au détour d'un virage je vois Fabien juste avant le ravito, je suis tellement heureux de le voir. Il m'explique que c'est un peu compliqué pour les filles et les enfants de monter jusqu'ici mais que tout le monde m'attend un peu plus bas. Sur le ravito, c'est le bordel, il y a beaucoup de monde, le protocole COVID ne nous autorise pas à nous servir et j'ai oublié mon écocup sur la table de l’appart. Heureusement, les bénévoles me trouvent un gobelet en carton qui me permet d'avaler du velouté d'asperge, du coca et de l'eau gazeuse. Ensuite je change de t-shirt et je repars, il me tarde de retrouver tout le monde quelques centaines de mètres plus bas. Ça me fait un bien qu’on n’imagine pas de voir tout le monde et d'être encouragé. Margot fera même quelques foulées avec moi...Au top !
C'est maintenant que ça commence, je le sais, j'ai reconnu cette portion du parcours et je sais que ce qui nous attend va être très très dur. La première partie de la montée n'est pas très raide mais elle me semble interminable, je sais qu'à un moment il faudra prendre à gauche, "droit dans la pente", et que ça va être dur. Enfin arrive le 33ème et la montée qu'il me tarde tellement d'avoir terminé. J'ai beau l'avoir déjà faite, elle me semble beaucoup plus longue que la dernière fois, 3km interminables... Je commence à râler et à douter. Je fais une pause à 500m du sommet, les traileurs passent devant moi et je lis la souffrance sur de nombreux visages, et puis j'entends des "c'est fini pour moi je m'arrête au tunnel". Je me dis que finalement, je ne suis pas en si mauvais état que ça et je repars collé aux basques d'une paire de Hoka rose. C’est tout ce que je verrai de la fin de la montée. Arrivé en haut de la Hourquette des Aiguillettes, j'ai envie de prendre une photo, mais je ne veux pas m'arrêter, tant pis pour la photo. La descente vers le tunnel est très technique, je la connais aussi, et je double quelques personnes. Une fois encore, j'entends des "pour moi ça s'arrête ici". Je pense que c'est sur ce ravito que la plupart des abandons ont eu lieu. Enfin le 38ème km, j'aperçois d'abord Margot puis tout le monde. Ouf, ils sont tous là, je suis dans le dur et leur présence me reboost instantanément. Je sais que c'est maintenant, à ce moment précis que mon mental doit prendre le dessus, c'est maintenant que je dois repartir sans me poser de question. Sur le ravito, les premières gouttes commencent à tomber et je commence à avoir froid. je voulais me reposer un peu plus mais j'ai trop froid alors je repars finalement plus vite que prévu. Fabien me tape sur l'épaule et me dit "tu dois plus avoir beaucoup de réserves alors essaye de pas t'arrêter, si tu es fatigué tu ralentis mais ne t'arrêtes pas". Merci mille fois pour ce conseil que je suivrai à la lettre pendant toute la montée de Bataillence.
Cette dernière grosse montée passe finalement plutôt pas mal, je me colle à Sébastien et à ses Saucony bleues, on discute, il vient de Vendée, il est très sympa et nos échanges rendent ces quelques km un peu plus faciles. En arrivant en haut de bataillence, je m'arrête prendre une ou deux photos et je repars.
Me reviens alors les paroles du speakers qui nous avait prévenu que cette descente, ce serait pas du gâteau. Oui mais voilà, j'en ai tellement marre de monter que je suis content d'avoir un peu de descente. Cette joie est de très très courte durée, ça descend raide, pas de sentier, les chevilles partent dans tous les sens, les quadri commencent à chauffer sec. A un moment, on aperçoit les granges du Moudang ou se trouve le dernier ravito mais on voit surtout que ces granges sont loin, très très loin et je me dis que je vais vivre l'enfer. A ce moment là, je suis prêt à tout balancer, je me demande ce que je fais là, pourquoi je fais ça, à quoi ça sert... quel abruti. Au milieu de la descente je rattrape un groupe agglutiné autour d'une fille qui est tombée, ils sont en train de la strapper. Ils sont nombreux alors je demande juste s'ils ont besoin de moi et je repars. 1km plus tard première chute dans les rhododendrons, je me relève mais le moral est au plus bas, 500m plus loin deuxième chute dans ces putains de rhododendrons. Je crois que je me mets à chialer mais je sais que si j'arrive aux granges c'est gagné, ce sera long mais ce sera gagné. Km 47, enfin elles arrivent ces granges, les bénévoles doivent lire la détresse sur mon visage, je le sens à la façon dont ils m'encouragent. Je prends le temps de m'assoir d'enlever mes chaussures, de vider toutes les merdes qui se sont foutu dedans et enfin je repars après un bon quart d'heure de pause. A partir de là, il me reste 17km, la première partie est carrossable, c'est du billard, je peux courir doucement, les larmes montent parce que j'ai mal mais surtout parce que je suis heureux, je sais qu'il ne plus m'arriver grand-chose. Je pense à Isa, Fabien, Margot, Angelina, Anatole et Alexandre qui ont sacrifiée leur journée. Je pense aussi à Lauren, à Arthur, à mes parents, à Stef, à Mike sans qui je ne serai probablement pas là, j'ai envie qu'ils soient fier de moi, alors je débranche le cerveau et j'avance à des allures irrégulières.
A 3km de l'arrivée, porté par les encouragements des passants, je retrouve un peu d'énergie et je me remet à courir. A quelques dizaines de mètres de l'arrivée, Thomas surgit devant moi et me félicite. Il est arrivé il y a bien longtemps, il est douché, tout propre et en forme. Je suis content de le voir, il m'accompagne sur quelques mètres et me laisse passer la ligne. Je vois tout le monde, Yann est arrivé, tout le monde m'applaudit, je sens une émotion incroyable, je me suis promis de ne pas pleurer mais j'ai du mal à me retenir. Je crois que je verse quand même quelques larmes quand une bénévole me remet la médaille et le t-shirt. Je l'ai fait, j'en suis capable. Après cette dernière zone, je retrouve tout le monde, je sens que tout le monde est heureux. Je pue tellement que j'ai du mal à me supporter, je n'ose pas me jeter dans les bras de Fabien et Isa mais j'en ai tellement envie. Je ne le ferai pas et je le regrette.
Ensuite, commence un autre voyage, celui de mon cerveau qui me fera refaire ce trajet des dizaines de fois pendant des jours. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à penser à autre chose.
De retour à l'appart, Fabien dira à Isa "prépare toi à ce qu'il prévoit une course plus longue l'année prochaine", sur le moment j'ai répondu que non, que j'avais atteint mes limites. Et puis tout compte fait, il ne me manque que 16km pour arriver à 80, alors avec un entrainement sérieux ça doit être faisable ;)